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3 juin 2022

★★★ | Babysitter

★★★ | Babysitter

Réalisation : Monia Chokri | Dans les salles du Québec le 3 juin 2022 (Maison 4:3)
Après un premier long métrage que nous avions globalement apprécié, Monia Chokri est de retour avec Babysitter. Malheureusement, nous y retrouvons une des faiblesses déjà évoquée ici même à propos de La femme de mon frère : le sens du burlesque dont Chokri voudrait faire preuve est très défaillant. Ainsi, les passages qui se voudraient rythmés et filmés de manière cartoonesque tombent à l'eau, voire frôlent le ridicule. En plus de laisser le spectateur perplexe, son absence de maîtrise du comique met également dans l'embarras ses acteurs, à qui l'on demande de surjouer de manière stérile (même Patrick Hivon, que nous apprécions pourtant grandement, est ici peu à son avantage). Mais malgré nos réserves, le film possède des qualités salvatrices. L'une d'elles est Nadia Tereszkiewicz, qui, malgré un rôle difficile, parvient à jongler entre la grâce et le ridicule requis par son personnage. L'ambition cinématographique de Chokri est également intéressante. En effet, en dehors des tentatives burlesques sur lesquelles nous ne reviendrons pas, la volonté de jouer les touche-à-tout cinéphiles porte souvent ses fruits. Ses emprunts, clins d'œil ou références confèrent au film un vrai charme, et certaines de ses propositions sont vraiment réussies.
Mais la plus grande qualité du film vient de son traitement du complexe et épineux sujet de la misogynie et du #MeToo. La volonté de légèreté parvient en effet à désamorcer les potentiels excès qu’un tel sujet peut susciter, et permet au film de l'évoquer en évitant nombre d'écueils.
Alors non, Babysitteur n'est pas un chef-d’œuvre, le cinéma de Chokri n'est pas aussi drôle qu’il le voudrait et est plus référentiel que totalement maîtrisé, mais son charme et l’intelligence du traitement de son sujet difficile en font un film agréable. Mineur et très imparfait, mais agréable!

26 mai 2022

★★★ | Gabor

★★★ | Gabor

Réalisation: Joannie Lafrenière | Dans les salles du Québec le 27 avril 2022 (Maison 4:3)
D’emblée, la réalisatrice Joannie Lafrenière annonce sa complicité avec son sujet: elle se place dans des mises en scènes amusées avec Gabor Szilasi, photographe d’origine hongroise installé à Montréal dont la carrière parcourt plus de six décennies. Au premier abord, c’est le rapport que la réalisatrice entretient avec le sujet, voire leur filiation artistique, qui semble porter le film. Lentement toutefois, Lafrenière s’efface pour laisser place au photographe et, si le film reste méritant et fascinant, elle se contente d’une approche plus simple, mais aussi moins féconde, pour faire hommage à l’artiste.
Le documentaire s’amorce en revisitant avec le photographe les lieux où celui-ci a pris ses clichés. L’exercice est au fond anecdotique et sert surtout à laisser le sujet s’exprimer sur ses thèmes et son approche artistique. L’idée s’effrite vite et c’est en fin de compte le charisme et l’œil de Gabor qui soutiennent le film. La valeur à la fois historique et artistique de son travail est indéniable, et le film, à son meilleur, réussit à en transmettre la force.
Plusieurs intervenants énonceront alors ce qui deviendra une des faiblesses du film : Gabor lui-même est plutôt discret, peu enclin à s’ouvrir sur sa vie et son parcours, préférant laisser son travail de photographe parler. Lafrenière le présente avec beaucoup d’affection tout en gardant une distance respectueuse avec lui. Limité ainsi, mais peu intéressé à explorer des histoires parallèles à son sujet, Gabor, le film, fait office de gentil hommage, de présentation de l’œuvre d’un artiste, mais peine à devenir une œuvre en elle-même.

22 avril 2022

★★½ | Norbourg

★★½ | Norbourg

Réalisation: Maxime Giroux | Dans les salles du Québec le 22 avril 2022 (Entract Films et Maison 4:3)
Maxime Giroux (La grande noirceur) et Simon Lavoie (Nulle trace) sont deux des cinéastes les plus essentiels du Québec. Lorsque le premier réalise et que le second scénarise au sein du même film, cela ne pouvait que donner un résultat qui sorte des sentiers battus. C'est le cas de Norbourg… mais pas pour les bonnes raisons!
Inspiré d'un fait divers qui a secoué la Belle Province au milieu des années 2000, ce long métrage ne sait jamais sur quel pied danser. Est-ce une sombre histoire d'amitié et de trahison entre un fraudeur (François Arnaud) et un ancien homme vertueux (Vincent-Guillaume Otis) qui a été corrompu par le pouvoir et l'argent ? Ou une farce grossière et transgressive sur les milieux de la finance comme pouvaient l'être les beaucoup plus efficaces The Big Short ou The Wolf of Wall Street ? Dans tous les cas, le récit s'avère superficiel et il laisse souvent indifférent.
Il est en fait constamment en quête d'une identité qui lui est propre. Vulgarisés jusqu'à en devenir simplistes, les enjeux n'en demeurent pas moins verbeux et trop explicatifs, alors que de grosses ficelles pendent pour manipuler le spectateur (par exemple la pauvre petite fille de l'introduction qui risque de perdre son héritage). La mise en scène compétente qui exploite favorablement la grisaille et la solitude de la Métropole s'avère d'ailleurs un peu trop télévisuelle. Même la musique, au demeurant très soignée (certains échos évoquent Le cheval de Turin), finit par donner le tournis par son omniprésence et sa façon de tout souligner. Quant aux deux interprètes principaux, ils ne semblent pas toujours croire à leurs personnages avec leurs petits sourires en coin.
Et si l'intérêt résidait ailleurs ? C'est à se demander si Giroux et Lavoie, qui ont toujours œuvré au sein d'un septième art indépendant, n'ont pas voulu imiter leur sujet afin de palper un cinéma commercial et populaire en offrant exactement ce que le client demande : une production lisse et impersonnelle, pas inintéressante mais dénuée d'âme, qui embrasse volontairement les conventions pour — c'est à espérer pour eux — s'en mettre plein les poches. L'exercice de manipulation qui en découle ne livre peut-être pas toujours la marchandise, mais au moins il va plus loin que le résultat assez quelconque en place.

9 décembre 2021

★★★ | Prière pour une mitaine perdue

★★★ | Prière pour une mitaine perdue

Réalisation: Jean-François Lesage | Dans les salles du Québec le 10 décembre 2021 (Les Films de l'Autre / Les Films du 3 Mars)
Dans le contexte spécifique des nuits d’hiver montréalais, Jean-François Lesage s’intéresse au comptoir des objets perdus de la STM et, à partir de ce point d’ancrage, ouvre la question à plusieurs intervenants sur les choses significatives que l’on perd au cours d’une vie. En ouvrant son approche sur des quidams, le réalisateur cherche à trouver l’intime et l’universel dans des événements et des pensées de parfaits inconnus. Agréable, il abandonne toutefois par moments son approche pittoresque en recherchant une profondeur dans son sujet, profondeur qui n’est pas toujours au rendez-vous.
Peut-être que la faute de Lesage tient au fait d’être aussi dépendant de ses intervenants. Ceux-ci étant choisis d’une manière qui semble hasardeuse, l’intérêt de Prière pour une mitaine perdue n’est égal qu’à leur discours. Alors que, par exemple, un homme atteint du VIH propose un témoignage touchant sur son passé, un groupe de jeunes adultes s’échangeant une cigarette ressasse de vagues propos sur la perte sans réellement avoir d’idées définies. Lesage se réclame du caractère simpliste de certaines interventions, mais une fois passé le charme de sa prémisse, celles-ci commencent à être répétitives et le cinéaste erre en s’efforçant de trouver son sujet.
Bien que sa démarche ait des fautes, Lesage se montre un habile documentariste. L’esthétique noir et blanc évoque magnifiquement les nuits froides de Montréal sans jamais écraser la simple beauté de la prémisse par son esthétisation. Lesage se montre attentif à ses sujets, ne les définissants souvent qu’avec de simples détails. Prière pour une mitaine perdue est une œuvre qui, pour le pire et le meilleur, s’intéresse avec empathie à la vie des passants qui n’aurait été que des figurants dans un autre film. Si le discours de certains ne dépasse parfois pas l’anecdote, l’approche chaleureuse de Lesage réconforte et offre un baume contre le marasme de l’hiver.

21 octobre 2021

★★★ | Il n’y a pas de faux métier

★★★ | Il n’y a pas de faux métier

Réalisation : Olivier Godin | À la cinémathèque québécoise du 23 au 26 octobre 2021.

Critique publiée dans le cadre du FNC 2020

Ceux qui ne connaissent pas le cinéma d’Olivier Godin risquent d’être surpris, tant ses films ne ressemblent à rien de connu (même si certaines influences sont évidentes!). En ce qui nous concerne, nous faisons partie des amateurs du cinéaste, même si nous devons avouer que, de film en film, nous avons toujours un peu peur que Godin ne finisse par transformer sa créativité en système, et son inventivité en procédé.
Une nouvelle fois, avec Il n’y a pas de faux métier, le cinéaste n’est jamais bien loin de tomber dans son propre piège… mais une nouvelle fois, il parvient à éviter la chute. Certes, il reste adepte de ce cinéma où se côtoient avec une assurance presque insolente la poésie, la vulgarité assumée, l’érudition, la philo-pop, les références multiples, l’humour très personnel, l'absence de véritable enjeu dramatique et la musique aux accents jazzy. Mais le côté parfois brouillon des précédentes œuvres laisse la place à une plus grande maîtrise : rarement en effet un bordel cinématographique aura été aussi bien organisé. De plus, la photo, pas toujours irréprochable dans ses longs métrages passés (à l’exception de Nouvelles, Nouvelles) est ici en phase totale avec les évidentes velléités graphiques du cinéaste. Cadre précis, noirs profonds, rouges obsédants, jeux de lumières soignés… certains plans sont particulièrement beaux et viennent apporter une évidente valeur ajoutée à l’ensemble.
Alors si vous ne connaissez pas encore le cinéma de Godin, Il n’y a pas de faux métier est probablement la porte d’entrée idéale dans l’univers insolite du cinéaste.
Et pour les autres, une question s’impose. À quoi ressemblera le prochain Godin ? Réussira-t-il à se renouveler ? Finira-t-il par faire évoluer son cinéma avant de se prendre les pieds dans son propre système ! Réponse au prochain épisode… 

24 septembre 2021

★★★¾ | Maria Chapdelaine

★★★¾ | Maria Chapdelaine

Réalisation: Sébastien Pilote | Dans les salles du Québec le 24 septembre (MK2 | Mile End)
Après une longue attente et des reports covidiens, il est enfin temps d'accueillir sur nos écrans le très attendu Maria Chapdelaine. Trois ans ont passé depuis La disparition des lucioles, et Sébastien Pilote nous revient avec l'adaptation d'un livre marquant de notre littérature, qui est également une œuvre ayant traversé la filmographie du cinéaste depuis ses débuts (pour en avoir le cœur net, lire à ce sujet Voir disparaître).
Dès les premières images, on comprend que Pilote est ici dans son élément. Aidé par la magnifique photo de Michel La Veaux, il restitue la vie de la ferme dans le Québec du début du XXe siècle avec un beau sens du détail et une force impressionnante.
Au rythme des saisons, il observe les travaux des champs, les petits plaisirs (de la cueillette des bleuets aux veillées avec le voisinage), les inquiétudes (les proches qui partent de longs mois pour effectuer des tâches difficiles et dangereuses), les drames (la mort de ceux qu’on aime), les espoirs (les promesses de la vie moderne aux États) et finalement l’attachement au sol et aux traditions.
En plus de nous livrer tout cela avec un sens de la mise en scène qu'on lui connaissait peu, Pilote livre surtout un superbe portrait d'une jeune femme volontaire, réfléchie et réservée, parfaitement incarnée avec un mélange de force et de la maladresse propre à l'adolescence par Sara Montpetit. Sa prestation donne une force à sa Maria, qui, même si elle est effacée et parle peu, devient un des plus beaux personnages féminins du cinéma québécois de ces dernières années.
Alors certes, l'idéalisation de la vie des champs et le discours conservateur parfois un peu trop insistant peuvent agacer... mais d'une part, il était difficile de s'en passer en raison du sujet (quand on adapte Maria Chapdelaine, on assume), mais surtout la maîtrise de Pilote est si parfaite qu'on peut aisément décider de faire fi de ces sources (mineures) d'agacement.

4 juin 2021

★★½ | Souterrain

★★½ | Souterrain

Réalisation: Sophie Dupuis | Dans les salles du Québec le 4 juin 2021 (Axia)

Nous avions beaucoup aimé Chien de garde. Avec son premier long métrage, Sophie Dupuis affirmait son amour pour le cinéma de genre et osait sortir des sentiers battus. Avec Souterrain, nous retrouvons cet amour pour le cinéma de genre (la dernière partie est une sorte de suspense minier) et cette envie de proposer autre chose (la vie et le travail des mineurs). Malheureusement, elle le fait ici avec beaucoup moins de réussite.
Certes, la cinéaste a du talent lorsqu’elle filme ce qui semble l’intéresser le plus (le rapprochement avec le cinéma de genre). Malheureusement, la majeure partie du film est constituée d’une mise en place laborieuse, qui semble rechercher en vain les petits moments de vie du quotidien, tout en abordant de manière maladroite de grands et graves sujets (le handicap et l’isolement qu’il provoque, les dangers de l’alcool au volant, les difficultés des rapports père-fils, la fausse couche et le traumatisme qu’elle représente, l’adoption et son refus de la part d’un “vrai” mâle (et donc, la paternité biologique vue comme indispensable à l’affirmation de sa virilité), etc.) Voilà donc beaucoup de sujets importants, dont certains ne sont pas souvent traités au cinéma. Malheureusement, ils sont si nombreux qu’aucun n’est ici vraiment abordé de front. On pourrait voir cela comme une volonté de subtilité, de distiller des sujets de société pour éveiller les consciences et laisser le spectateur y réfléchir selon son bon vouloir, mais ce n’est pas le cas non plus. Aussi bien en raison des maladresses d’écriture que des maladresses dans la direction d’acteur, on a le sentiment permanent que Dupuis  recherche plus l'effet que la vérité. Le film donne ainsi l’impression d’être composé d’une heure destinée à rassurer les investisseurs (on parle de vrais gens, avec de vrai problème, et qu’importe si on le fait à la va-vite) et d’une demi-heure enfin réussie (le drame de la mine, qui permet à Dupuis d’être dans un univers qui semble plus lui correspondre).
Nous conseillerons toutefois timidement de visionner Souterrain car il faut soutenir notre cinéma québécois en cette période difficile et car Sophie Dupuis nous rappelle in extremis qu’elle a du talent... mais nous ne pouvons que nous demander si les dithyrambes entendus ou lus ici et là ne sont pas un peu excessifs.

14 mai 2021

★★★½ | Hygiène sociale

★★★½ | Hygiène sociale

Réalisation: Denis Côté | Dans les salles du Québec le 14 mai 2021

Même s'il est toujours question de nature et d'êtres marginaux à côté de la vie, Denis Côté se plaît à ne jamais faire le même film, alternant entre des projets plus «conventionnels» et des objets laboratoires à micro budget tournés en quelques jours seulement. C'est dans cette dernière catégorie que se classe Hygiène sociale, un de ses essais les plus originaux et libres en carrière.
Récompensée plus tôt cette année à Berlin, cette création hors norme est l'antidote parfait à la pandémie. Il s'agit d'une farce ludique et philosophique sur un voleur qui a maille à partir avec son entourage, la société et, surtout, sa propre existence. Le charme intemporel et anachronique du récit évoque les contes grecs et les saynètes de Marivaux. Les dialogues fondent littéralement dans la bouche, rappelant que son auteur peut être bon avec les mots, livrant des phrases savoureuses comme « J'aime bien tuer le temps; j'assassine aussi toutes mes nuits. » Mais contrairement à ce qu’il faisait dans Boris sans Béatrice, il agit ici sans prétention ni pédanterie, amusant beaucoup au passage tout en se dévoilant, même si l'ensemble n'apparaît pas particulièrement profond ou subtil.
Le tout aurait certainement été différent sans la présence de Maxim Gaudette. Peu importe si son personnage relève de l'archétype car l'acteur transcende l'écran de sa présence et de son charisme, alternant avec délectation entre différents niveaux de langage. Les comédiens déclament leur texte comme au théâtre et c'est justement cette scène qui sera reproduite — et détruite au passage — en plein air. Une barrière invisible sépare les êtres statiques et solitaires, incapables de bien communiquer ensemble — une ironie alors que le verbiage est roi — et qui est exprimé par leur distanciation physique et sociale.
Construit comme une succession d'élégants longs plans fixes extrêmement soignés visuellement, Hygiène sociale semble prendre un malin plaisir à étirer le temps. Pas tant pour concurrencer les maîtres du slow cinema (au contraire, on est ici plus près d'un Roy Andersson que d'un Tsai Ming-liang) que pour expérimenter avec légèreté pendant 75 minutes. L'enrobage sonore très travaillé n'est également jamais loin de la farce (avec ces corbeaux qui semblent constamment se moquer de ce qui est dit) et fidèle à son habitude, le cinéaste sabote son propre travail en y intégrant une succession de plans rapides et un ton qui devient plus ambigu. Contre toutes attentes, la cohérence est de mise, particulièrement lorsque les corps peuvent s'exprimer sur une mélodie contagieuse de Lebanon Hanover.
Denis Côté offre ainsi avec son 13e long métrage l'œuvre idéale pour oublier la pandémie et accueillir la saison estivale à bras ouverts. Qui eut cru que l'auteur de Curling allait offrir un jour le film québécois le plus drôle des dernières années ?

6 mai 2021

★★★★ | Nulle trace

★★★★ | Nulle trace


Réalisation: Simon Lavoie | Dans les salles du Québec le 6 mai 2021 (K Films Amérique)

Simon Lavoie
est un cinéaste aussi atypique que passionnant. Sa carrière prouve à l’évidence qu’il n’a pas peur de prendre des risques, quitte parfois à paraître prétentieux (voire à l’être réellement lorsqu’il se prend les pieds dans son ambition). Comme par le passé, son nouveau film pourra en déstabiliser plus d’un·e. Prévenons-les: l’histoire de Nulle Trace pourrait se résumer à ces quelques lignes, voire quelques mots, que l’on volera au dossier de presse («En un futur troublé, une contrebandière taciturne et une jeune étrangère cheminent vers leur destin»). Les dialogues ne sont guère plus étoffés, mais cela n’empêche pas le film de posséder des atouts énormes. Il y a d’abord ses images sublimes filmées dans un troublant noir et blanc infra-rouge qui donne aux visages des deux héroïnes des allures irréelles (comme si ces femmes étaient malgré les apparences déjà unies par une mort en sursis) et aux feuilles des arbres des tons blanchâtres (comme si un cataclysme les avait décolorées).
Mais il y a surtout les émotions que ces images suscitent, et la force avec laquelle Lavoie parvient à dépeindre les doutes qui s’installent sur la manière de voir le monde lorsqu’il s’écroule. Le film pourrait être complexe et aborder frontalement de nombreux thème, mais il est en réalité réduit à l’épure, gomme le superflu, laisse le spectateur ressentir, juger et finalement comprendre que lorsque tout s’écroule, la seule certitude, plus que jamais, n’est autre que la mort, irrémédiable, inévitable... mais peut-être pas si douloureuse que cela. Car sans en avoir l’air, c’est bien là que nous conduit Lavoie: vers ce questionnement sur la mort. Et à travers elle, c’est le rapport à la foi que le film interroge, sans imposer le moindre point de vue, en laissant chacun libre de conclusions qui pourraient être contradictoires.
Nulle trace n’est jamais bien loin du chef d’œuvre, et pourtant, le sens de l’épure (dialogue, enjeux, décors, intrigue) rend le spectateur particulièrement exigeant. Peut-être à cause de cela, une petite afféterie ou un plan un peu trop explicatif prend des proportions considérables. Cela nuit à l’impression finale, car on aurait voulu que le film reste durant toute sa longueur aussi parfait et aussi mystérieux que dans sa première demi-heure. Il ne l’est pas totalement.
Mais ses failles, infimes, ne seraient-elles pas paradoxalement ce qui le rend encore plus beau, plus touchant, car plus vulnérable?

4 mars 2021

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

Réalisation: Philippe Falardeau | Disponible au Québec en VSD et en salle le 5mars 2021 (Metropole):

Quatre ans après Chuck, le québécois Philippe Falardeau tourne un second drame biographique d’affilée avec My Salinger Year. En adaptant le récit autobiographique de la journaliste indépendante, poète, critique et romancière américaine Joanna Smith Rakoff, Falardeau délaisse les gants de boxe pour la machine à écrire.
On reconnaît la facture de Falardeau dans sa façon un peu pédagogique d’aborder son sujet et les relations de pouvoir et de hiérarchie mises en place. Mais ce qui agace un brin dans cette plongée dans le milieu littéraire est sa formule empruntée à The Devil Wears Prada de David Frankel et cette douceur générale (appuyée par la musique de Martin Léon) qui se dégage, de telle sorte qu’on demeure toujours en surface. Un peu plus de profondeur n’aurait pas nui à l’ensemble, mais on arrive toutefois à saisir les enjeux éthiques de cette agence littéraire prestigieuse déphasée et le fossé générationnel qui sépare notre jeune aspirante écrivaine de la hiérarchie existante. En revanche, la relation amoureuse entre Joanna et son copain est somme toute assez banale alors que le récit d’apprentissage et le cheminement qui s’ensuit le sont encore plus. Ainsi, les embûches qui se dressent sur son chemin forcent notre jeune héroïne à se remettre en question sur son avenir et faire preuve d’audace.
Ceci étant dit, la reconstitution modeste mais efficace du New York du milieu des années 1990 et la lumière de Sara Mishara (La grande noirceur, Tu dors Nicole) sont au diapason avec la mise en scène assurée. Dans le rôle principal, la vedette montante Margaret Qualley est attachante avec son mélange de candeur et de détermination alors qu’à ses côtés Sigourney Weaver excelle dans un rôle toutefois plus stéréotypé de la directrice de l’agence laissant transpirer ses émotions au fil de l’intrigue. Malgré les maladresses, My Salinger Year reste un film agréable qui se veut une ode à la littérature et à la création.

25 février 2021

★★★½ | La déesse des mouches à feu

★★★½ | La déesse des mouches à feu


Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette | Dans les salles du Québec le 25 septembre 2020, puis le 25 février 2021 (Entract Films)

Soyons honnêtes. Jusqu’ici, les longs métrages de fiction d’Anaïs Barbeau-Lavalette ne nous avaient pas convaincus. Certes, la cinéaste avait le grand mérite de regarder aussi bien ici (Le ring) qu’ailleurs (Inch'Allah), mais son écriture scénaristique laissait grandement à désirer et confondait trop souvent qualités artistiques et bons sentiments. (Nous précisons scénaristique... il n’est bien évidemment pas question des autres formes d’écriture qu’affectionne Barbeau-Lavalette.)
Autant dire qu’avec La déesse des mouches à feu, nous avions quelques inquiétudes puisqu’elle ajoutait à nos craintes passées de possibles écueils où plus d’un·e·s ont échoué (adaptation d’une œuvre littéraire aux qualités reconnues; film sur l’adolescence nous confrontant à la sainte trinité à haut risque (phase rebelle; découverte des substances illicites; conflits avec des parents qui sont eux-mêmes en conflit entre eux).
Et pourtant... pour notre plus grand plaisir, Barbeau-Lavalette évite un grand nombre de pièges potentiels et nous livre un bon film. Le scénario de Catherine Léger y est pour beaucoup. Délaissant les lourdeurs trop souvent imposées (explications psycho-socio-généalogico-jenesaisquoi de chaque action), il va à l’essentiel, élimine le superflu, et parvient aussi bien à dresser le portrait d’une jeune femme qui se cherche et d’un groupe d’amis (qui ne sait pas trop non plus où il va!) qu’à traiter des sujets d’un simple plan (une amie d’hier qui sort de sa vie, parce que la vie est ainsi faite) ou avec une intelligence rare (a-t-on déjà aussi bien parlé de suicide au cinéma en si peu de mots et d’images?). En osmose parfaite avec sa scénariste, Anaïs Barbeau-Lavalette nous offre une mise en scène qui possède à la fois la fougue de la jeunesse, la délicatesse de la cinéaste et de vraies propositions jamais affectées. Le sens de l’observation de Barbeau-Lavalette (évident depuis son premier film) peut alors s’exprimer pleinement.
Grâce à la parfaite union de ces deux talents, mais également aux talents de l’ensemble des comédien·ne·s (impeccables), La déesse des mouches à feu fait figure de grande réussite. À ce jour, LE film québécois à voir en 2020... sans le moindre doute!

18 septembre 2020

★★★ | Nadia, butterfly

★★★ | Nadia, butterfly

Réalisation: Pascal Plante | Dans les salles du Québec le 18 septembre 2020 (Maison 4:3) 

Après avoir connu le bonheur frustrant d’une sélection virtuelle au festival de Cannes qui ne s’est pas tenu, Nadia, butterfly arrive sur nos écrans québécois.
Pascal Plante, cinéaste et ancien nageur, commence fort en faisant se côtoyer ses deux passions de belle manière! Ses actrices principales étant des nageuses de haut niveau (deux d’entre elles ont remporté une médaille olympique par le passé), elles peuvent lui donner le meilleur. Plante étant de surcroît un cinéaste particulièrement doué pour filmer les êtres et les petits riens qui les unissent, le tout début du film, qui projette le spectateur aux côtés des nageuses en finales d’un relais des JO de Tokyo 2020 (eh oui!), est une réussite.
Nous serons plus réservés pour la suite, Plante faisant toujours aussi bien ce qu’il sait faire (filmer les relations interpersonnelles), mais se heurtant aux petites faiblesses de son écriture. Lorsqu’il observe ses personnages déambuler, s’entraîner, prendre du bon temps (en d’autres termes, lorsqu’il s’exprime avec sa caméra), le résultat est là. Nous ne le répéterons jamais assez: Plante sait filmer les gens. Il s’intéresse à ses personnages, sait les laisser interagir... et il sait surtout restituer ces petits moments de vie. (À ce titre, nous conseillons le visionnement du court métrage Blonde aux yeux bleus, qui est peut-être à ce jour son meilleur film). Par contre, lorsqu’il aborde des enjeux dramatiques (ici, les doutes sur une possible retraite du haut niveau) et qu’il doit passer par des dialogues, le résultat est beaucoup moins convaincant. La présence de la nageuse Katerine Savard dans le rôle-titre n’aide pas. Certes, ce choix reste pertinent (son expérience de nageuse apporte beaucoup au rôle), mais elle se retrouve confrontée à certaines contraintes imposées par un personnage qui intériorise beaucoup ses émotions. Nous voyons alors régulièrement ses limites de comédienne (ce que nous ne pouvons pas lui reprocher, car elle n’est tout simplement pas comédienne !). Plus chanceuse, Ariane Mainville (elle aussi nageuse de haut niveau), incarne un personnage beaucoup plus extraverti, rôle dans lequel elle semble particulièrement à l’aise. Filmée par la caméra attentive et délicate de Plante, elle vient régulièrement servir de béquille au film tout en donnant indirectement une épaisseur au personnage interprété par Savard. Elle est d'ailleurs probablement la meilleure idée du scénariste Plante. Elle est le ciment qui permet au film de tenir debout malgré ses quelques faiblesses... et qui permet à ses qualités de prendre le dessus!
À voir donc... en attendant le prochain film de Pascal Plante, que l’on espère encore meilleur!

7 février 2020

 ★★★ | En attendant Avril

★★★ | En attendant Avril

Réalisé par Olivier Godin | Dans les salles du Québec le 7 février 2020 (La Distributrice de Films)
Texte initialement publié à l'occasion du FNC 2018

Il y a peu de cinéastes aussi idiosyncratiques qu’Olivier Godin, encore moins au Québec. On ne pourrait pas prendre En attendant Avril comme le film d’un autre réalisateur. Le cinéma de Godin, que l’on qualifierait trop vaguement de surréaliste, multiplie les points de référence avec des influences aussi révolues que contemporaines, réussit toujours à faire beaucoup avec des moyens limités et, quoi que l’on en pense, fait toujours impression.
Cela étant dit, En attendant Avril est très proche du précédent film du cinéaste, Les arts de la parole. Les deux forment une sorte d’abstraction du film policier : enquêteur, enquêtrice dans le cas présent, au premier plan dans une quête qui tient du prétexte permettant au réalisateur de déployer sa poésie. Les deux font aussi un contrepoids à ce genre typiquement commercial en allant puiser dans le folklore québécois, la présence du conteur Michel Faubert, ici mis au premier plan, complétant ce geste. Dans la filmographie du cinéaste, En attendant Avril s’établit comme une continuation plutôt qu’un renouvellement.
Formellement, En attendant Avril est certainement moins désuet que Les arts de la parole. Très statique, la mise en scène a tout de même son lot de petites trouvailles. On retiendra particulièrement l’utilisation des couleurs pour donner corps à des décors limités, ou encore l’utilisation constante de mains pour mimer les fermetures d’iris de la caméra. Les idées déployées par Godin impressionnent par leur créativité, touchent par leur simplicité.
C’est dans les dialogues que le cinéaste est à son naturel. Drôles et beaux d’un même geste, ils établissent un ton de poésie singulière. Les acteurs se prennent au jeu avec un plaisir apparent et, même si les performances sont dans l’ensemble inégales, cela ne fait qu’ajouter au charme artisanal du film.
Si le cinéma de Godin provoque au premier abord la surprise, l’effet est grandement estompé pour ceux qui ont suivi le parcours du réalisateur depuis Nouvelles, Nouvelles. Il ne faudrait toutefois pas ignorer le film pour si peu. Godin est un cinéaste inimitable et c’est un plaisir de voir une nouvelle œuvre de sa part.

31 janvier 2020

★★½ | Le rire

★★½ | Le rire

Réalisation : Martin Laroche | Dans les salles du Québec le 31 janvier 2020 (Maison 4 : 3)
Jusqu’ici, les films de Martin Laroche ont été financés sans l’aide des institution, y compris ses deux grandes réussites (Les manèges humains et Tadoussac).
Avec Le rire, le cinéaste accède enfin à des conditions de production plus confortables. Malheureusement, en changeant de braquet, il perd une partie de ce qui faisait la force de son cinéma. La perte la plus importante est probablement son rapport aux interprètes. Dans ses deux films précédents, le lien qu’il entretenait avec eux (et, surtout, avec elles... ses personnages féminins étant, comme ici d’ailleurs, les personnages centraux) était marqué par une impression de proximité, comme si le cinéaste, la caméra et les interprètes avaient trouvé une intimité artistique qui donnait aux personnages une sensibilité et une vérité comme on en voit peu. Dans Le rire, cette magie n’opère plus. Certes, Micheline Lanctot et Léane Labrèche-Dor sont irréprochables, mais elles œuvrent avec une maîtrise et un indéniable professionnalisme qui ressemblent ici étrangement et paradoxalement à un défaut... surtout si on compare leurs prestations aux prestations antérieures de Camille Mongeau, Isabelle Blais et Marie-Evelyne Lessard, qui étaient empreintes d’une urgence, d’une nécessité, d’une fébrilité qui collaient à merveille aux personnages et à l'univers du cinéaste.
Malheureusement, ce n’est pas tout. Laroche perd en effet le contrôle d’un autre élément qui était une des grandes forces de son cinéma. Certes, ses dialogues sont toujours très justes, mais son scénario veut emprunter tellement de pistes qu’il finit par se perdre dans un trop-plein d’ambition mal maîtrisée et de prises de risques mal contrôlées. La très courte première séquence du film, qui se conclut par une chorégraphie dont on aurait pu se passer, en est le premier exemple. Cependant, la seconde séquence, plus longue, est à l’image d’une autre facette de ce film qui possède heureusement quelques moments nous permettant de retrouver un cinéaste que l’on a beaucoup aimé. Cette séquence de charnier est en effet maîtrisée d’un bout à l’autre : de la tension dramatique à l’interprétation, en passant par ses choix de mise en scène (avec une caméra tour à tour souterraine et aérienne). Très rapidement, le film nous annonce la couleur: il aura des allures de montagnes russes, alternant (un peu de) bon et (trop de) moins bon. Cela n’est cependant pas assez pour nous faire oublier le talent de Laroche. Il a essayé quelque chose d’ambitieux. Il est passé à côté. Nous n’avons qu’une envie : attendre son prochain film, en espérant qu’il retrouve ce qui faisait de lui le réalisateur québécois de films fauchés le plus indispensable de ces dernières années.

19 décembre 2019

★★½ | The Twentieth Century (Le vingtième siècle)

★★½ | The Twentieth Century (Le vingtième siècle)

Réalisation : Matthew Rankin | Dans les salles du Québec le 20 décembre 2019 (Maison 4:3)
Pour son premier long-métrage, le prolifique bricoleur Matthew Rankin n’a rien perdu de sa créativité. Effectivement, The Twentieth Century est une épopée « historique » mêlant avec plaisir l’animation, le cinéma expérimental, et les minutes du patrimoine canadien. En adaptant très librement la vie de Mackenzie King, politicien reconnu pour sa circonspection maladive, le réalisateur semble avoir trouvé le sujet idéal pour son saut vers le long-métrage mais, la surprise initiale passée, son film peine à garder le cap, cachant derrière son inventivité formelle un humour potache épuisant et un discours politique superficiel.
Les influences de Maddin sont évidentes (des influences qui se retrouvent jusque dans le casting) mais Rankin ne se contente pas d’être qu’un émule. Son film trouve des inspirations partout, des premiers temps du cinéma jusqu’au scrapbooking, faisant de The Twentieth Century un plaisir visuel certain. Cela étant dit, au fil des scènes, l’approche esthétique en constante réinvention de Rankin trouve ses limites. Les référents visuels n’approfondissent rien et les partis pris esthétiques empruntés ne servent que le geste créatif, n’ayant rarement plus de volonté que celle d’épater. Lorsque par exemple Rankin utilise régulièrement des acteurs en mode drag, il ne semble faire le geste que par excentricité artistique, celui-ci n’ajoutant rien à son discours, et lorgne vers la simple appropriation.
Par la vie de Mackenzie King, le réalisateur s’attaque joyeusement au marasme de la politique canadienne. Encore une fois Rankin fait habilement référence à plusieurs anecdotes de la vie de son sujet ou du monde politique canadien, mais l’humour s’attaque à des cibles faciles. En se moquant de l’hypocrisie de ses personnages, Rankin en arrive tout de même à répliquer leur discours, faisant sans grande créativité une blague de ses personnages au physique désagréable, des problèmes sexuels de son protagoniste ou en tombant dans l’humour scatophile. Si la même inventivité avait été appliquée à l’élaboration des gags qu’à l’aspect visuel, on aurait pu excuser la facilité des cibles, mais le film se suffit de son concept, délaissant son texte au passage. Rankin démontre certainement qu’il est capable de renouveler son esthétique sur la durée, mais en s’attaquant à son sujet toujours au premier degré, il fait un premier long qui s’essouffle rapidement.

9 octobre 2019

★★ | Matthias et Maxime

★★ | Matthias et Maxime

Réalisation: Xavier Dolan | Dans les salles du Québec le 9 octobre 2019 (Séville)

Rien ne va plus pour Xavier Dolan! Après un ambitieux film anglophone mal maitrisé, le talentueux cinéaste québécois revient au Québec avec un film d’apparence plus modeste... mais malheureusement tout aussi peu maîtrisé à force d’en mettre toujours plus, toujours trop!
Il est dommage que son film n’ait pas suivi la voie que semblait vouloir tracer son propre titre (Matthias et Maxime): deux amis d’enfance aux parcours très différents voient leurs vies bouleversées par le tournage d’un petit film amateur dans lequel ils doivent s’embrasser! D’un seul coup, tout bascule. Alors que leur hétérosexualité semblaient être pour eux une évidence, ce baiser anodin vient ébranler leurs certitudes.
Le sujet est intéressant. Son traitement l’est beaucoup moins tant Dolan semble attiré par des chemins détournés censés nous en dire plus sur les personnages principaux, mais qui en réalité viennent faire de l’ombre de manière stérile à l’évolution d’une relation et aux doutes qu’elle génère. Il essaie en effet dans le même temps de faire un film d'amis en donnant naissance à de nombreux personnages qu’il n’arrive jamais à faire exister vraiment. Pire encore, il nous en remet une couche sur la relation mère-fils. Si le thème lui a permis de faire de très belles choses par le passé, il n’est que survolé ici et commence à prendre des allures de réchauffé. Les scènes entre les personnages incarnés par Dolan (le fils) et Dorval (la mère) sont pénibles et viennent témoigner de l’incapacité du cinéaste à nous faire comprendre une situation sans la jeter à la face du spectateur en grossissant ses aspects les plus dramatiques. Signalons également que les relations avec les autres personnages féminins (dans ce film, une femme est soit «la mère de», soit «la sœur de», soit «la conjointe de») ne sont pas beaucoup plus subtiles ou pertinentes.
Finalement, d'un sujet potentiellement passionnant, Dolan ne fait rien. Il ne nous dit rien de cette relation trouble entre deux amis d’enfance ni des doutes sur leur orientation sexuelle. Il ne tire pas profit de ses détours et ne nous dit rien non plus de ce groupe d’amis ou des relations familiales difficiles. Il se contente de faire une caricature de lui-même. Cependant, reconnaissons que certains des petits tics dolaniens semblent commencer à s’estomper. Serait-ce la transition vers un renouveau? On le souhaite.

3 octobre 2019

★★★★ | Kuessipan

★★★★ | Kuessipan

Réalisation : Myriam Verreault | Dans les salles du Québec le 4 octobre 2019 (Filmoption International)

Porté par l'interprétation sensible de ses comédiennes (Sharon Ishpatao Fontaine et Yamie Grégoire), le film de Myriam Verrault met en lumière la relation entre deux amies d'enfance qui sera confrontée à un nouvel amour. L'objet de cet amour (un Québécois) les forcera à remettre en question leur identité de jeunes autochtones ayant grandi dans une réserve. Adapté du roman du même nom de Naomie Fontaine, Kuesssipan parvient habilement à traiter d'un sujet intime (la question identitaire) tout en remettant en question diverses problématiques sociales et culturelles. Il s'agit plus ici d'un rapprochement des cultures que de jeter le blâme sur l'une ou sur l'autre.

Le récit qui aurait pu tomber aisément vers le mélodrame et le misérabilisme trouve son équilibre et nous démontre enfin que ce n'est pas parce qu'on vient d'un milieu moins favorisé que la vie n'est qu'une suite de larmes et de drames. Le film de Myriam Verreault n'évite pas les dures réalités qui sévissent dans les réserves, loin de là. Cependant, elle fait le pari de nous montrer des personnages résilients, forts (même dans les moments de faiblesse) et souvent très drôles. Kuessipan nous rappelle que ces recherches d'identité, d'appartenance et de dignité que vivent les personnages sont les mêmes que celles qui nous habitent.

Finalement, le film de Verreault nous démontre le pouvoir de la différence. C'est en acceptant cette différence en soi que l'on parvient pleinement à vivre en communauté.

27 septembre 2019

★★ | Vivre à 100 milles à l'heure

★★ | Vivre à 100 milles à l'heure

Réalisation: Louis Bélanger | Dans les salles du Québec le 27 septembre 2019 (Les Films Opale)
Le dernier film de Louis Bélanger est un film de pot(es).
Comme dans Les mauvaises herbes, le pot est en effet un moteur du récit... du moins au début. Un peu répétitif, mais pourquoi pas. Après tout, c'est maintenant légal au Canada, merci Justin, et c’est très bien comme ça (ou pas, chacun choisira!)
Mais Vivre à 100 milles à l'heure est aussi un film de potes... car d’adolescence, avec les amitiés qui vont avec (on le souhaite), plus ou moins durables, les chemins qui se séparent, les amis qu’on ne reconnait plus, etc. Et là, immanquablement, le petit «retour sur ma jeunesse, avec sa dose de nostalgie» ferait plutôt penser à la trilogie Trogienne. Ou plutôt: le début du dernier Bélanger semble prendre la même voie que 1981. Malheureusement, ça ne dure pas. Alors que Trogi prend son temps pour dépeindre un adolescent, un milieu, une époque, Bélanger respecte le cahier des charges affiché en gros à l'entrée des salles: Vivre à 100 milles à l'heure. Très vite, le film change de direction pour partir dans tous les sens et se perdre en même temps que le spectateur décroche. Trois acteurs, de trois âges, interprètent le personnage principal (il va site vite qu’il fait une trilogie en un seul film), et on a l’impression que chaque étape pourrait être le sujet d'un film, qui comporterait lui-même trop d'éléments qu'il n'arriverait pas à contenir. Du coup, à l'arrivée, il aborde plein de thèmes sans jamais trouver le bon angle, se perd avec trop de personnages dont il ne fait pas grand-chose, trop de sujets qui lui échappent ou qui l’écrasent, trop de genre (de la comédie ado au film de genre), trop de mauvais choix de mise en scène (la fusillade finale... ouch!).
Alors, comme il a malgré tout du métier, l’ensemble se laisse voir si l’on n’est pas trop exigeant... Mais nous sommes loin des Mauvaises herbes. Quant à Gaz bar blues, n’en parlons pas!

13 septembre 2019

★★★ | Il pleuvait des oiseaux

★★★ | Il pleuvait des oiseaux

Réalisation: Louise Archambault | Dans les salles du Québec le 13 septembre 2019 (MK2 | Mile End)
Six ans après Gabrielle, Louise Archambault nous revient avec un nouveau film qui partage avec le précédent certaines qualités.
La première est l'intérêt de la cinéaste pour les histoires d'amour qui sortent des sentiers battus. Après le handicap mental, Archambault place ici la vieillesse au cœur de son récit (adapté du livre de Jocelyne Saucier, XYZ éditeur). Elle n’est certes pas la première à le faire (souvenons-nous de La casa del sorriso, Marco Ferreri, 1991), mais elle fait partie des cinéastes qui osent montrer que l’amour passe (à tout âge) aussi par le désir charnel, ici très sensuel. Elle réussit parfaitement à montrer un amour naissant, la montée du désir, et nous livre une scène très belle (et plutôt crue) qui ose représenter des corps vieux et fripés pour faire l’éloge de la peau, des caresses, de la sensualité. Cette première qualité est d'ailleurs indissociable de la seconde: la sensibilité d’Archambault, son amour / respect pour ses personnages, sa capacité à les faire vivre et exister sous nos yeux.
Malheureusement, le film n’est toutefois pas sans faiblesses, souvent liées aux personnages de la photographe et du gérant de l’hôtel (Ève Landry et Éric Robidoux, cependant tous les deux irréprochables) dont les rôles trop fonctionnels de moteur du récit viennent un peu atténuer la force des qualités évoquées plus haut.
Quoi qu’il en soit, cette faiblesse d’écriture ne nous empêchera pas de conseiller le visionnement de ce film réalisé par une cinéaste qui, décidément, ose bouleverser les habitudes du spectateur sans sombrer dans la provocation facile... et qui parvient à trouver les images justes pour affirmer qu'il n'est jamais trop tard pour choisir une nouvelle vie!

29 août 2019

★★★ | La version nouvelle

★★★ | La version nouvelle

Réalisation: Michael Yaroshevsky | Dans les salles du Québec le 30 août 2019 (Cinémathèque québécoise)
La version nouvelle est un petit film étrange! Après son visionnement, on hésite un peu. Serait-ce un film ambitieux plutôt loupé, étouffé par quelques références trop lourdes et par sa propre ambition poético–air-du-temps–je-ne-sais-quoi? Nous ne sommes pas loin de le penser, mais préférons y voir un film modeste fait d’une succession d’images, de sons, de lenteurs assumées... qui invitent le spectateur à divaguer. Cela semble anodin, mais ce n’est pas rien: jamais le film n’ennuie, ne donne envie de se lever de son siège, de quitter la salle et d’aller affronter le dehors. Régulièrement, un bruit de bouteille qu’on débouche, un craquement de parquet, une Sophie Desmarais qui ne fait pas grand-chose dans un appartement, des passagers de métro en Russie ou au Japon, un polaroïd qui se décroche d’un mur ou je ne sais quel petit quoi d’anodin viendra titiller notre imaginaire, nous inciter à nous perdre dans nos pensées... tout en nous donnant toujours le minimum pour ne pas décrocher du film, bâiller d’ennui, s’ennuyer à maudire ce Yaroshevsky...
Alors bien évidemment, le film ne laisse pas une trace indélébile dans nos souvenirs cinéphiles, mais il nous donne envie de conseiller d’aller à sa rencontre, dans une salle de cinéma (où aucune tentation familière ne risque de divertir), et d’essayer de prendre ce qu’il a à nous offrir: une Sophie Desmarais qui-ne-fait-pas-grand-chose-mais-qui-le-fait-bien, des petites choses, des petites formes, des petits sons. Pour faire court: des petits riens dont la modestie finirait presque par ravir (sans que l’on sache vraiment pourquoi!).
C’est peut-être ça, aussi, la magie du cinéma.